Manuel du Spéculateur à la Bourse
Pierre-Joseph ProudhonLorsqu’en 1853-54, MM. Garnier frères, désirant pour leur librairie une espèce de Vade mecum de la Bourse, me prièrent de me charger de ce travail, je ne crus pas d’abord qu’une pareille compilation eût besoin devant le public d’un répondant. Quelques notions d’économie politique, servant à déterminer le rôle de la spéculation, soit comme force productrice, soit comme opération boursière ; quelques appréciations critiques, de simple bon sens, dont le temps a depuis confirmé la justesse, ne me paraissaient pas constituer ce que les lois sur la propriété littéraire nomment pompeusement œuvre de génie. L’entrepreneur de commerce et d’industrie a sa marque de fabrique ; l’ouvrier qui travaille pour le compte de cet entrepreneur n’a pas la sienne : il ne peut pas l’avoir. Dans l’espèce, je n’étais qu’un ouvrier.
J’ai donc fourni l’article, comme on dit en style de comptoir : travail répugnant et pénible ; c’est le sort des plébéiens de la littérature. Je n’y ai pas mis mon nom : qu’importait au lecteur de savoir que dans ma carrière de publiciste, il m’arrivait parfois de travailler sur commande ?
Aujourd’hui, ma position est changée.
Sous la pression des événements, et tout en suivant ma pensée première, j’ai été conduit à discuter plus à fond les affaires, à qualifier les actes, à en dégager les causes, à définir les situations, à calculer les tendances, d’après des considérations d’économie et de droit qui dépassent la responsabilité du libraire.
Voilà ce qui m’oblige à paraître, et sur quoi je demande à m’expliquer.
Deux considérations d’ordre majeur dominent tous les jugements exprimés dans ce recueil : la morale publique, et le mouvement économique.